vendredi, mars 16, 2007

Les mélodies poétiques d’Angélique Ionatos

Album . Compositrice, chanteuse, elle a l’allure d’une déesse, une voix envoûtante.
Pour Eros y muerte, la chanteuse grecque Angélique Ionatos a mis en musique des textes de Pablo Neruda, de deux poètes grecs, Kostas Karyotakis et Kostis Palamas, et d’Anna de Noailles. Tout en finesse, les mélodies soulignent la beauté des propos et les sonorités des poèmes.
Comment s’est fait le choix des poèmes ?
Angélique Ionatos. Pourquoi un poème génère-t-il en vous une musique ? C’est très mystérieux. Je suis tombée amoureuse du recueil Cien sonetos de amor (la Centaine d’amour) de Neruda. Écrits pour sa femme, Mathilde, son grand amour, ces cent sonnets, très particuliers, ne sont pas en rime. C’est de la poésie libre. Je me suis mise à en composer d’abord un, puis deux, et j’ai continué ! Au début, je pensais faire un disque uniquement avec Neruda. Simultanément, j’ai composé sur Kostis Palamas. Est alors venue l’idée d’Eros y muerte : j’ai uni ces deux poètes car je trouvais que l’un répondait à l’autre, l’un parlant de la mort, l’autre de l’amour, les deux pôles de notre être.
Avez-vous coupé les poèmes ?
Angélique Ionatos. Non, je les ai gardés intégralement. Je ne me permets pas d’enlever un vers. Souvent, les musiciens qui mettent des poèmes en musique se retrouvent prisonniers de la musique qu’ils ont créée. Alors, couper est une commodité. Pour moi, dès qu’on choisit un poème, on ne peut pas tailler dedans. Je ne porte aucun jugement. Mais ça ne me vient pas à l’esprit : c’est à moi de faire une musique qui le contienne en entier.
Vous avez, dites-vous, beaucoup composé sur les sonnets de Neruda. En interpréterez-vous d’inédits sur scène ?
Angélique Ionatos. Oui. J’ai l’art de frustrer le public ! Je chante toujours des inédits qui ne sont pas sur le disque. C’est ce qui rend peut-être
ce moment unique quand quelque chose d’éphémère se produit qui n’est pas donné ailleurs.
Et le choix de Kostis Palamas ?
Angélique Ionatos. C’est un poète grec majeur, jamais traduit en français ! Il a vécu à la fin XIXe siècle, est mort en 1941. Il a été notre Victor Hugo en quelque sorte. Il a cette particularité d’avoir écrit en langue parlée, ce qui n’était pas l’usage à l’époque et l’a rendu très populaire. Très jeune, j’ai entendu dans la bouche de ma mère cette trilogie de Palamas sur son enfant décédé. Il m’a fallu attendre beaucoup d’années pour la mettre en musique.
Vous chantez en trois langues dans le disque. Est-ce une forme d’engagement ?
Angélique Ionatos. Une forme de liberté ! Neruda a probablement déverrouillé involontairement cette réticence que j’avais à composer en espagnol. Le français est ma langue au même titre que le grec. Mes deux premiers disques étaient majoritairement en français. Puis, j’ai choisi de chanter presque uniquement en grec. Je me suis rendue compte qu’en tant que musicienne, je ne pouvais m’épanouir que dans cette langue. Et probablement, pour un immigré, sa langue, c’est sa patrie. Moi je n’étais plus en Grèce, le rapport que j’entretenais avec le grec était ma vraie patrie. C’est dans cette langue que j’avais envie de faire de la musique. C’est aussi primaire que cela !
Vous avez fui la Grèce en 1969, pendant la dictature des colonels. Vous considérez-vous engagée politiquement ?
Angélique Ionatos. Je le fus quand j’ai quitté l’effroyable dictature grecque. Mes premiers disques étaient très engagés. J’avais dix-huit ans et la rage de savoir ce qui se passait dans mon pays. Peu à peu, je suis allée plus vers la subversion que de l’engagement. Un artiste doit être subversif. Quand je chante l’amour, des poètes aussi magnifiques que Neruda ou Palamas, c’est un acte profondément engagé.
En quel sens ?
Angélique Ionatos. J’ai l’impression que l’espace artistique est ouvert à tout, dans l’évocation : il faut laisser au public la liberté de « lire à sa manière ». S’il faut parfois crier « à bas machin », le poing levé, ce n’est pas mon style musical. C’est une question de tempérament. Les poètes et musiciens engagés, comme il y en a eu en France, avaient leur rôle à jouer. Leurs chansons sont très liées à une époque et peuvent vite tomber en désuétude. J’aime beaucoup les Anarchistes de Ferré. Mais ma sensibilité va bien plus
à Gracias a la vida (de la
Chilienne Violeta Para - NDLR), la chanson la plus engagée, je crois, qui va traverser le temps et dit tout. L’amour est peut-être le sujet le plus subversif qui existe. L’être humain passe souvent à côté de l’essentiel. Nous, musiciens, avons le privilège d’être des saltimbanques et d’avoir le laissez-passer pour le rêve. J’aimerais qu’il soit universel. Que tout être humain ait le droit au rêve.
Angélique Ionatos :
Eros y muerte (Naïve).
À Crosnes (91) le 24 mars, à Font-Romeu (66) le 21 avril puis différentes dates jusqu’en juillet. Reprise du 24 au 29 septembre au Théâtre des Abbesses (Paris).
Internet : www.angeliqueionatos.com
Entretien réalisé par Fabien Perrier
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Une fois de plus, Neruda rencontre la Grèce. Avec brio. Après Mikis Theodorakis qui, voilà plus de trente ans, avait orchestré le Canto general, chant du poète chilien en hommage à son pays, à l’Amérique latine et aux insurgés, Angélique Ionatos, qui vit aujourd’hui en France, a choisi les Cien sonetos de amor (la Centaine d’amour), recueil de sonnets dédiés à sa femme. Dans ce disque, l’amour et la mort se croisent sous les plumes de Pablo Neruda, Kostis Palamas, Kostas Karyotakis et Anna de Noailles. Ces quatre poètes, un Chilien, deux Grecs, une Française, Angélique Ionatos, les fait se rencontrer sur ce disque. Comme s’ils conversaient entre eux, leurs propos se répondent. Rencontre des langues aussi : chaque poème est chanté dans son écriture originelle. Pourtant, la chanteuse parvient à donner à l’album une unité étonnante, propice au rêve et à la réflexion. Par sa voix, toujours envoûtante, qu’elle soit douce ou puissante. Par ses compositions et l’instrumentation de Michael Nick, loin des clichés sur la Grèce ou les pays hispanophones, tout en finesse. Les onze morceaux de Eros y muerte forment un subtil chant d’amour à la poésie, et à la vie.
F.P.
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Articles parus dans l'édition du 16 mars 2007

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