Le blues résistant de Zachary Richard
Album . Le chanteur louisianais francophone, Zachary Richard, sort Lumière dans le noir, un album lumineux malgré la gravité des thèmes abordés. Rencontre.
Zachary Richard, cinquante-sept printemps et quelques albums (dont le fameux Travailler, c’est trop dur), a profondément été meurtri par l’ouragan Katrina. En français, il exprime ses révoltes et nous parle de ses combats, de la francophonie à l’environnement.
Votre nouvel album est très ancré dans l’actualité.
Zachary Richard. Pour écrire, je suis tributaire de l’inspiration. Il m’arrive qu’un rêve, l’amour ou la peine d’amour, donne une chanson. C’est le cas pour Ma maison étrangère, Mama Luna. Et parfois, il y a des accidents de parcours. Comme quand, à Paris, je vois, dans un documentaire bouleversant, des témoignages des rescapés du génocide rwandais. J’ai transcrit le texte quasiment mot pour mot. Cet après-midi-là, j’avais déjà une mélodie en tête. Alors, j’ai fait Ô Jésus, même si initialement je n’avais pas l’intention d’écrire sur ce sujet. Ensuite, 2005 a été une année très difficile d’où une certaine mélancolie. Enfin, si les mélodies me viennent assez facilement, il m’est plus difficile de trouver un sujet qui mérite que j’en parle. Je deviens de plus en plus exigeant quant au texte. Et je ne suis pas suffisamment prolifique pour abandonner une chanson, même si le sujet est trop lourd !
Vous éprouvez donc le besoin de vous exprimer par la chanson ?
Zachary Richard. Oui, même si c’est d’abord l’émotion qui compte. Quand la chanson peut avoir une ampleur qui dépasse le divertissement, je suis doublement satisfait. Seule m’importe la qualité de la chanson : son texte, sa mélodie, son interprétation et la production qui met le tout en valeur. Le sujet est secondaire. Sur cet album, je parle de sujets durs comme Beyrouth, la pollution, le Rwanda ou l’ouragan Katrina. Mais il y a toujours une lumière dans le noir, dans toutes les épreuves. Je n’ai pas la prétention de penser que grâce à une chanson, on va arrêter le génocide, mais elle est une sensibilisation.
Que représente pour vous la culture francophone ?
Zachary Richard. Je suis américain, anglophone de formation, d’éducation et de culture. Mes grands-parents, qui appartenaient à la dernière génération monolingue francophone de la Louisiane, étaient mon attache à la francophonie. En 1900, 85 % de la population du sud-ouest de la Lousiane était monolingue francophone, en 1950, 50 %, et aujourd’hui moins de 12 %. Alors, par amour pour eux, j’essaye de développer ma maîtrise de la langue française, écris et lis en français. Mais en Louisiane, c’est difficile de faire un achat sans parler anglais.
C’est une lutte quotidienne que de ne pas parler anglais ?
Zachary Richard. Une lutte, oui. Mais pas quotidienne, ce serait bien trop fatigant ! Il y a une volonté réelle de préserver la langue mais, malheureusement, pas beaucoup de moyens. Une question se pose : quels aspects de la culture pourrons-nous transmettre sans la langue ? La culture musicale, la tradition de joie de vivre, une vision du monde typiquement latine, française, un style de vie ? Sans la langue, nous risquons de perdre un grand bout de notre identité. Cette question sera réglée par une prochaine génération.
Que signifie alors le fait de chanter en français ?
Zachary Richard. Je suis francophone militant depuis longtemps. J’appartiens à une minorité : toutes les communautés francophones d’Amérique du Nord, même au Québec, sont dans une situation fragile. Il est tout à fait imaginable que le français disparaisse du Québec d’ici quelques générations. Vivre dans une situation minoritaire renforce notre engagement. En même temps, je suis aussi auteur et compositeur de langue anglaise et fier de l’être. Je vis pleinement là-dedans, sans conflit culturel. En anglais, j’ai beaucoup plus de possibilités d’exprimer une espèce de légèreté. Le français me donne quelque chose que je ne voudrais jamais perdre : une possibilité de résister. Enfin, je veux éviter que cet héritage divague vers le folklore. Le plus grand danger en Louisiane est que l’on devienne des espèces de caricatures de nous-mêmes, avec nos vieilles chansons d’antan. Nous allons tout faire pour empêcher que le rouleau compresseur de la culture américaine nous passe dessus. Dans mes spectacles, y compris à Québec ou en France, je vais toujours chanter un peu en anglais et aux États-Unis, je vais toujours chanter un peu en français.
L’ouragan Katrina a-t-il changé la perception de la question environnementale aux États-Unis ?
Zachary Richard. Malheureusement non ! La classe politique n’a pas osé prendre les décisions qui s’imposent pour sauvegarder la communauté à long terme. On a encore une fois écouté les riches qui en Louisiane sont les compagnies de pétrole et les investisseurs fonciers. En 2005, la vieille ville n’avait aucune goutte d’eau, car elle est située au-dessus du niveau de la mer. Nous continuons à construire en dessous de ce niveau. Avec le réchauffement de la mer, l’élévation du niveau de la mer, nous continuons à faire les mêmes erreurs !
Entretien réalisé par Fabien Perrier
Zachary Richard, cinquante-sept printemps et quelques albums (dont le fameux Travailler, c’est trop dur), a profondément été meurtri par l’ouragan Katrina. En français, il exprime ses révoltes et nous parle de ses combats, de la francophonie à l’environnement.
Votre nouvel album est très ancré dans l’actualité.
Zachary Richard. Pour écrire, je suis tributaire de l’inspiration. Il m’arrive qu’un rêve, l’amour ou la peine d’amour, donne une chanson. C’est le cas pour Ma maison étrangère, Mama Luna. Et parfois, il y a des accidents de parcours. Comme quand, à Paris, je vois, dans un documentaire bouleversant, des témoignages des rescapés du génocide rwandais. J’ai transcrit le texte quasiment mot pour mot. Cet après-midi-là, j’avais déjà une mélodie en tête. Alors, j’ai fait Ô Jésus, même si initialement je n’avais pas l’intention d’écrire sur ce sujet. Ensuite, 2005 a été une année très difficile d’où une certaine mélancolie. Enfin, si les mélodies me viennent assez facilement, il m’est plus difficile de trouver un sujet qui mérite que j’en parle. Je deviens de plus en plus exigeant quant au texte. Et je ne suis pas suffisamment prolifique pour abandonner une chanson, même si le sujet est trop lourd !
Vous éprouvez donc le besoin de vous exprimer par la chanson ?
Zachary Richard. Oui, même si c’est d’abord l’émotion qui compte. Quand la chanson peut avoir une ampleur qui dépasse le divertissement, je suis doublement satisfait. Seule m’importe la qualité de la chanson : son texte, sa mélodie, son interprétation et la production qui met le tout en valeur. Le sujet est secondaire. Sur cet album, je parle de sujets durs comme Beyrouth, la pollution, le Rwanda ou l’ouragan Katrina. Mais il y a toujours une lumière dans le noir, dans toutes les épreuves. Je n’ai pas la prétention de penser que grâce à une chanson, on va arrêter le génocide, mais elle est une sensibilisation.
Que représente pour vous la culture francophone ?
Zachary Richard. Je suis américain, anglophone de formation, d’éducation et de culture. Mes grands-parents, qui appartenaient à la dernière génération monolingue francophone de la Louisiane, étaient mon attache à la francophonie. En 1900, 85 % de la population du sud-ouest de la Lousiane était monolingue francophone, en 1950, 50 %, et aujourd’hui moins de 12 %. Alors, par amour pour eux, j’essaye de développer ma maîtrise de la langue française, écris et lis en français. Mais en Louisiane, c’est difficile de faire un achat sans parler anglais.
C’est une lutte quotidienne que de ne pas parler anglais ?
Zachary Richard. Une lutte, oui. Mais pas quotidienne, ce serait bien trop fatigant ! Il y a une volonté réelle de préserver la langue mais, malheureusement, pas beaucoup de moyens. Une question se pose : quels aspects de la culture pourrons-nous transmettre sans la langue ? La culture musicale, la tradition de joie de vivre, une vision du monde typiquement latine, française, un style de vie ? Sans la langue, nous risquons de perdre un grand bout de notre identité. Cette question sera réglée par une prochaine génération.
Que signifie alors le fait de chanter en français ?
Zachary Richard. Je suis francophone militant depuis longtemps. J’appartiens à une minorité : toutes les communautés francophones d’Amérique du Nord, même au Québec, sont dans une situation fragile. Il est tout à fait imaginable que le français disparaisse du Québec d’ici quelques générations. Vivre dans une situation minoritaire renforce notre engagement. En même temps, je suis aussi auteur et compositeur de langue anglaise et fier de l’être. Je vis pleinement là-dedans, sans conflit culturel. En anglais, j’ai beaucoup plus de possibilités d’exprimer une espèce de légèreté. Le français me donne quelque chose que je ne voudrais jamais perdre : une possibilité de résister. Enfin, je veux éviter que cet héritage divague vers le folklore. Le plus grand danger en Louisiane est que l’on devienne des espèces de caricatures de nous-mêmes, avec nos vieilles chansons d’antan. Nous allons tout faire pour empêcher que le rouleau compresseur de la culture américaine nous passe dessus. Dans mes spectacles, y compris à Québec ou en France, je vais toujours chanter un peu en anglais et aux États-Unis, je vais toujours chanter un peu en français.
L’ouragan Katrina a-t-il changé la perception de la question environnementale aux États-Unis ?
Zachary Richard. Malheureusement non ! La classe politique n’a pas osé prendre les décisions qui s’imposent pour sauvegarder la communauté à long terme. On a encore une fois écouté les riches qui en Louisiane sont les compagnies de pétrole et les investisseurs fonciers. En 2005, la vieille ville n’avait aucune goutte d’eau, car elle est située au-dessus du niveau de la mer. Nous continuons à construire en dessous de ce niveau. Avec le réchauffement de la mer, l’élévation du niveau de la mer, nous continuons à faire les mêmes erreurs !
Entretien réalisé par Fabien Perrier
Lorsqu’en 2005, l’ouragan Katrina ravage le sud des États-Unis, Zachary Richard est en pleine écriture. Son disque en porte la marque par un texte, la Promesse cassée, par la participation imprévue à l’album de certains musiciens qui, ayant perdu leur maison, se sont réfugiés chez lui. Inconscient signe prémonitoire, peut-être, certaines de ses chansons déjà prêtes abordaient les questions environnementales et sociales : les ouragans déjà survenus (l’Île dernière), les populations qui résistent à ceux qui veulent les chasser (la Ballade de Jackie Vautour), les bélugas, ces baleines en voie d’extinction (la Ballade de DL-8-153). À l’écoute, l’album semble très construit, comme si les morceaux se répondaient entre eux ; comme si leur auteur voulait dire combien les hommes ont parfois du mal à tirer les leçons de l’histoire. Mais c’est juste une question de hasard. Suffisamment heureux, dans ce malheureux contexte, pour donner un merveilleux opus où se mêlent rythmes country, folk, rock et blues, aux accents jazz ou cajuns, et où apparaissent des invités aussi éclectiques que Francis Cabrel, Sanseverino ou encore Ani DiFranco.
F. P.
Zachary Richard. Lumière dans le noir (Exclaim)/ http://www.zacharyrichard.com/
Articles parus dans l'édition du 29 juin 2007.
Zachary Richard. Lumière dans le noir (Exclaim)/ http://www.zacharyrichard.com/
Articles parus dans l'édition du 29 juin 2007.
Libellés : Festival Déferlantes francophones, Musique
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