Le maudit tango de Melingo, génial Argentin
Notes d’un piano, sons de clarinette, souffles de bandonéon : ces 11 chan- sons puisent aux origines du tango, fruit du mélange des rythmes sud-américains avec ceux venus d’Europe et, surtout, d’Afrique. Ce melting-pot, Melingo l’incarne : du côté paternel, son grand-père était de Thessalonique, en Grèce, sa grand-mère italienne, et du côté maternel, sa grand-mère était basque espagnole et son grand-père mi-autochtone et mi-africain. Avec lui, la descente dans les bas-fonds de Buenos Aires est un véritable bonheur.
Dans votre album, nombreuses sont les allusions aux faubourgs, aux quartiers, aux bas-fonds de l’Argentine. Pourquoi, aujourd’hui, les chanter ?
Melingo. Parce que l’histoire se répète. Certes, on ne danse plus le tango à tous les coins de rue. Mais les bas-fonds, ces quartiers un peu mal famés d’où vient le tango, sont toujours là. La notion de quartier est très importante à Buenos Aires : c’est un peu comme la patrie des habitants.
Dans ces quartiers régnait un esprit canaille. Existe-t-il encore ?
Melingo. Oui. Dans les banlieues de Buenos Aires, cet esprit un peu mafieux avec les petits chefs existe encore ! Cet esprit nous accompagne depuis l’indépendance, et même avant. Plus qu’un esprit, c’est une espèce de fantôme qui pèse sur nous. Alors les autorités ont souvent eu l’intention d’y mettre un terme, mais il semblerait que cette intention ne soit qu’une apparence. Nous gardons l’espoir que ça va s’améliorer, mais les choses ne changent pas.
Dans vos chansons, la police apparaît souvent. Pourquoi lui accorder une telle place ?
Melingo. C’est la plus mafieuse entre toutes ! En Argentine, la police est très militariste. Il y a une longue tradition de répression qui persiste. Une espèce de paranoïa existe toujours dans la population, qui renvoie à d’autres périodes de l’histoire. On pourrait dire qu’il y a des disparus dans la démocratie. Bien entendu, mon intention, dans mes chansons, n’est pas de dire que je suis du côté de la police ! Mais elle s’inscrit dans mes descriptions comme d’autres personnages récurrents. C’est la société, dans toutes ses contradictions impossibles à comprendre !
Il y a justement une chanson sur Montmartre, à Paris. Pourquoi avoir choisi ce texte ?
Melingo. D’abord parce que c’est un texte d’Enrique Cadicamo, un poète que j’admire beaucoup. Il parle du Paris des années vingt, qu’il a découvert avec Gardel. Les paroles de ce poème, au moment où il l’a écrit, décrivent déjà un Montmartre qui n’était plus celui qu’il vivait. D’un Montmartre d’avant les années vingt. Ce poème, ces mots, mélangés à ma musique, l’ont fait se transformer en une chanson. Mais c’est la musicalité de ses mots qui m’a attiré.
Est-ce aussi une façon de montrer l’universalité des quartiers populaires, ce qu’était Montmartre initialement ?
Melingo. Oui, c’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai choisi ce poème. Montmartre, c’est presque le parallèle du quartier de la Boca, à Buenos Aires : un quartier bohème avec beaucoup de peintres, d’immigrés…
Quel est le sens du titre de l’album, « maldito tango » ?
Melingo. Au départ, c’est une expression : « Maudit tango ! ». Mais elle reflète ce que j’ai voulu faire avec cet album. J’ai sélectionné des poèmes anciens, de poètes maudits, et j’ai fait une sorte de parallèle avec les poètes français ou colombiens. J’ai réuni des poètes du lunfardo, la langue des prisonniers, et j’ai essayé de créer une forme de pont imaginaire entre ces poètes.
Sur cet album, le tango moderne croise une critique sociale…
Melingo. C’est une revendication !
Mais vous considérez-vous comme un chanteur engagé ?
Melingo. En fait, je suis une personne engagée à 100 % dans mon travail et j’assume totalement les interprétations que l’on peut faire de mon travail. Je ne me considère pas comme un chanteur ou un musicien engagé socialement, mais plutôt comme un chanteur ou un musicien engagé musicalement, ce qui est d’ailleurs une autre façon d’être engagé socialement. La musique est un moyen de transmettre un message.
Qu’avez-vous envie de défendre ?
Melingo. La pauvreté… Être un chroniqueur, montrer la pauvreté, la faire connaître. C’est le seul travail que je peux faire. Mais je ne veux pas mélanger le pamphlet et l’art.
Vous considérez-vous comme un sociologue en musique ?
Melingo. Non, je ne me considère pas comme un sociologue ! Je suis musicien, poète… Et tout ce que je fais est un jeu de l’inconscient : je prends le mystère de la création, je le mélange avec mes propres connaissances et je vois ce que ça donne. Donc, l’intention de l’album n’est pas sociologique, mais il est vrai que dans mes albums il y a des revendications sociales. Par exemple, dans Se Igual je parle de ceux qui, à Buenos Aires, récupèrent les cartons. Cette chanson est donc une revendication sociale pour eux.
Quelles sont vos influences ?
Melingo. Bien sûr, Carlos Gardel : l’inventeur du tango chanté. Il fut la première icône de chanteur de tango. Son influence transcende ce que l’on pourrait croire à l’extérieur de l’Argentine. En Argentine, on pourrait dire qu’il est un saint. Mais aussi Astor Piazzola : avec lui il y eut une rupture, mais en même temps avec lui la boucle était bouclée. Ou encore, Caceres : c’est un Maître avec une majuscule. C’est dû à ce qu’il transmet, de manière directe comme indirecte. D’un côté, son approche du tango est didactique, de l’autre il a une influence inconsciente sur nous tous.
Melingo : Maldito Tango (Manana-Naïve)
Du 20 juillet au 9 août, Melingo sera en tournée en France (www.danielmelingo.com).
À écouter aussi : Tango Around the World (Putumayou World Music), qui montre la diversité du tango à travers le monde.
Entretien réalisé par Fabien Perrier
Article paru le 21 juin 2008
Libellés : Musique
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