Raul Paz, hors des cases et loin des clichés
En vivo est un opus plein de vie où les cuivres et les percussions renforcent l’atmosphère chaleureuse, souvent entraînante, qui se dégage de chaque album de Raul Paz. Au cours d’un séjour pour quelques concerts à Cuba, l’artiste a enregistré cet album « best of ». Inattendu, tant les clichés qui circulent sur l’île sont nombreux. Qui eût dit, en effet, qu’il puisse s’y produire, lui qui a été persona non grata pendant quelques années ? Et pourtant, il en revient avec cet album ébouriffant. Un comble sans doute, pour ce chevelu poète. Ou alors le témoignage d’une société qui s’ouvre comme le laissent à penser ses commentaires dans le DVD du coffret. Lui qui refuse les cases, en musique comme en politique, semble prouver au moins une chose : l’ouverture musicale est possible. Et si l’art révélait l’état d’une société ?
Pourquoi avoir enregistré ce CD à Cuba ?
Raul Paz. Depuis des années, je représente une certaine cubanité : je fais une carrière européenne en tant que « chanteur cubain ». Or, depuis quinze ans, je n’avais pas pu jouer à Cuba pour différentes raisons. C’était un besoin : fermer la boucle en jouant à la maison. Au même moment, le ministère de la Culture cubaine m’a invité à m’y produire sur scène. J’ai convaincu tout le monde, la maison de disques, le producteur, etc. Un an et demi après, nous y étions !
Vous n’aviez jamais « pu jouer à Cuba, pour différentes raisons ». Lesquelles ?
Raul Paz. Cuba est un pays différent. En général, je n’aime pas trop parler de politique. Quand je suis parti étudier en France, j’ai été considéré comme persona non grata sans savoir pourquoi. Du coup, je suis rentré dans une espèce de « mécanisme diabolique » : d’abord je n’avais plus le droit de rentrer, puis j’ai eu le droit d’y aller en touriste. Et pour ce concert, malgré la proposition du ministre de la Culture, je n’avais pas de permis pour y jouer officiellement. Nous avons dû effectuer des démarches : ça a mis un peu de piment ! En tout cas, je n’allais pas à Cuba pour faire de la politique.
Aujourd’hui, vous y retournez en touriste ?
Raul Paz. Oui ! Mes parents y vivent. Et je peux y aller deux fois dans l’année.
Est-ce pour cela que vous ne voulez pas vous exprimer sur Cuba ?
Raul Paz. Non ! Aujourd’hui, je n’ai pas l’impression de ne pas pouvoir m’exprimer comme je veux. On n’en est plus là ! Mais je ne veux pas rentrer dans une polémique. Depuis cinquante ans, Cuba vit divisé en deux : ceux qui sont pour, ceux qui sont contre. Cette division n’a servi à rien, sauf à faire couler de l’encre aux journalistes ! Ce qui ne nous a pas beaucoup aidés, sinon à nous éloigner chaque fois un peu plus les uns des autres. Tu es bon ou mauvais, pro-Américain ou pro-Fidel… On entre dans des cases que je déteste. Cuba est un pays plein de paradoxes, c’est comme ça qu’il faut le vivre. Ce serait plus honnête de discuter de ce qui est bien et de ce qui ne l’est pas. On nous a enlevé des choses à Cuba, mais on nous en a appris d’autres. J’appartiens, je pense, à une génération qui ne vit plus dans cette polarité « pour ou contre », qui n’en a plus envie.
Quelle est la musique cubaine aujourd’hui ?
Raul Paz. Je suis arrivé en France en pleine « Buena Vista Social Club-mania ». D’une façon un peu rebelle, un peu naïve, j’ai tout fait pour m’en démarquer, pour révéler d’autres facettes musicales de mon pays, pour montrer que j’appartenais à une jeunesse qui avait d’autres façons de voir la musique, hors des cases, de voir la vie même. À Cuba, même si la jeunesse est parfois interdite de certaines choses, elle produit des créations très intéressantes. Au niveau musical, par exemple, La Havane a un festival de rap, un autre de rock. C’est là que j’ai connu la musique électronique faite par des Cubains, à dix-sept ans - en pleine période spéciale, quand c’était le plus dur ! J’ai été accusé de ne pas être cubain, ou pas vraiment cubain. Au début, je ne trouvais pas de maison de disques car je ne représentais pas une image cliché ! Paradoxalement, une maison américaine a signé avec moi à cette époque.
Quels thèmes abordez-vous dans vos chansons ?
Raul Paz. J’aime bien l’image du troubadour qui raconte des histoires, ce que sont la plupart de mes chansons. Je peux parler d’amour comme de solitude, de distance ou de joie… Elles racontent un quotidien qui révèle une façon d’être, de dire les choses avec beaucoup d’ambiguïté. J’aime beaucoup l’ambiguïté. Il n’y a pas une chanson plus ambiguë que Revolucion par exemple. Les pro-Cubains virulents, de France ou d’ailleurs, m’ont un peu accusé de faire une chanson anti-Cuba, et au même moment les Cubains en tournent un clip pour la télé. Ça me plaît que chacun se fasse sa propre idée de l’histoire, comme dans les livres de Cortazar.
La chanson conduit-elle à la réflexion ?
Raul Paz. Elle est un vecteur pour partager, communiquer, débattre et réfléchir. Je suis plus attiré par la réflexion que par le matraquage de ce qu’il faut croire ou pas. Ça m’amuse énormément que les Cubains prennent ma musique comme un acte patriotique et les autres comme un acte anti-cubain. C’est très bien comme cela. En jouant à Cuba, j’ai réussi à atteindre le public. C’est ce qui nous a manqué à Cuba : on nous a toujours enfermés dans des clichés, en tout cas ces dernières années. Nous sommes même parvenus à chanter des chansons comme Marijuana, qui ne parle pas seulement de drogue, mais aussi de la différence entre les êtres, de l’acceptation, etc. Certes, quand ils ont retransmis le concert à la télé, ils ont enlevé cette chanson comme une autre, Policia. Mais nous avons pu les jouer.
Cette censure dont vous parlez n’existe-elle pas dans toutes les sociétés ?
Raul Paz. Évidemment. Y compris dans celles dites des droits de l’homme, libres, etc. Elle est même extrêmement frappante depuis quelque temps. Voilà pourquoi quand il y a censure à Cuba, je ne veux pas l’utiliser et dire « vous voyez, ce sont des méchants ». Je ne suis pas là pour ça, mais pour réunir un maximum de gens, les faire réfléchir, et au moins leur donner un moment de communication pour que chacun fasse sa vie et que chacun ait le droit - qui nous a manqué plus que toute autre chose - de décider d’accepter ou de ne pas accepter.
Un chanteur doit-il être engagé ?
Raul Paz. Pas de la façon dont on l’entend « officiellement », d’un côté ou d’un autre ! Il doit être engagé avec soi-même, avec ce qu’il connaît, ses traditions. Nous ne sommes ni tout blanc ni tout noir, mais pleins de paradoxes. En tout cas, j’essaie d’être honnête avec moi-même.
Album En Vivo - CD-DVD Live, Naïve.
Entretien réalisé par Fabien Perrier
Article paru le 22 février 2008Libellés : Musique, Pôle éthique
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