Youssou N’Dour, militant des causes justes
Dans ce nouvel album, vous multipliez les références aux traditions. Quel regard portez-vous sur la modernité en Afrique ?
Youssou N’Dour. La société africaine est jeune. Elle a envie d’accéder aux choses modernes. Dans cette société, certaines visions de son peuple ont tendance à évoluer plus rapidement. Mais, dans la société africaine aussi, qui fonctionne d’une manière impressionnante, il y a des gens qui n’ont absolument pas besoin de cette évolution, qui sont vraiment contents. L’Afrique est complexe. Elle a une force : la solidarité. Par exemple, ce Peul que je chante habite dans le village ; il a tout ce qui lui faut et n’a pas besoin de tout ce que nous recherchons souvent, qui symbolise la réussite, l’enrichissement et plein de choses comme ça. Dans cette société, il est important de reconnaître qu’il y a des gens qui vivent simplement.
Dans Sportif, vous portez un jugement sur une société dans laquelle la concurrence est devenue une valeur puissante…
Youssou N’Dour. Le sport pour moi est un jeu. Là, je parle de la lutte, qui incarne la tradition sportive au Sénégal. Elle incarne aussi parfois l’esprit mystique. Mais quand un lutteur populaire perd, la rencontre peut dégénérer. Je chante pour rappeler que ce n’est qu’un sport. Il faut laisser de côté cet esprit de conflit. Tout peut devenir conflit : l’ethnie, la langue… Dans la musique que nous faisons, nous essayons de participer à la cohésion. La musique crée de la cohésion.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Youssou N’Dour. Je ne me souviens pas de comment partent mes notes, mes mélodies ou mes premiers jets de mots. Ça peut arriver n’importe où et n’importe quand. Et il y a un moment où je décide de développer ces idées. J’essaie de faire en sorte que la chanson soit vraiment bien structurée, en adéquation avec les musiciens et les instruments. Ce sont les mots qui nous parlent directement. Ce qui se passe chaque jour, dans notre société, donne des mots : les choses qui me plaisent ou qui me déplaisent. Mais ce n’est pas facile de parler de la société africaine aux Africains, et par la musique.
Votre message dépasse largement l’Afrique !
Youssou N’Dour. L’Afrique se parle d’abord entre elle : je pense que la musique permet aux Africains de se parler, d’avoir un langage. Ensuite, j’ai un message à faire passer aux gens qui ont une vision différente de l’Afrique. J’essaie de leur amener notre vision.
La musique doit-elle porter un message ?
Youssou N’Dour. Je crois que la musique peut porter un message. Par la musique, il peut passer plus rapidement, car on s’en lasse moins, contrairement aux discours que l’on entend une fois ou deux et ça suffit ! Une chanson, si elle a un message, peut vous changer les idées, et être quelque chose qui vous interpelle. Dans la mesure où la musique nous parle chaque jour, je crois qu’elle doit porter un message, pour le faire passer.
C’est revenir à défendre la chanson engagée ?
Youssou N’Dour. Oui. Mais la chanson engagée n’est pas seulement celle qui dénonce. C’est aussi celle qui vit la réalité, celle qui parle avec les gens, qui va dire « oui, ça nous le comprenons, oui, ça nous l’avons perçu ». Ce n’est pas seulement un discours de revendication, elle encourage les choses qui sont bien, dénonce celles qui ne le sont pas.
Chanter essentiellement en wolof, n’est-ce pas une entrave à la compréhension du message ?
Youssou N’Dour. Au début, c’était frustrant de chanter en wolof : je pensais que les gens n’entendaient pas directement ce que je disais. Mais nous chantons mieux dans notre langue. Et le public a aussi les disques et les interviews pour mieux comprendre ce que nous disons. Le français est perçu, chez nous, comme une langue de travail : pour l’école, les administrations… Dès le départ, ce n’est pas la langue que l’on peut utiliser pour parler de la tradition.
Que pensez-vous des déclarations de Nicolas Sarkozy sur « l’homme noir sorti de l’histoire » ?
Youssou N’Dour. Ce discours a été maladroit. L’Afrique a toujours trouvé des solutions à ses problèmes. La colonisation a mis toutes ces solutions dans les tiroirs. Elle nous en a imposé d’autres. Et je ne crois pas que le système mis en place par les colonialistes soit meilleur que le système qu’avaient trouvé nos ancêtres. Il faudrait que Nicolas Sarkozy et tous ceux qui sont dans son état d’esprit sachent qu’avant la colonisation il y a eu des solutions trouvées par nos ancêtres, qui eux aussi étaient des intellectuels. L’Afrique n’a pas besoin de recevoir des leçons de qui que ce soit. Je crois que nous avons nos voix, nos porte-voix pour parler.
Vous êtes ambassadeur de bonne volonté pour l’UNICEF. Comment concevez-vous cette fonction ?
Youssou N’Dour. C’est important que de défendre le droit des enfants, la justice, d’encourager l’UNICEF, cette branche des Nations unies. Cette fonction colle toujours à mon métier, à ma passion : la musique. Les gens comme nous, les artistes et les hommes publics, faisons passer le message rapidement.
Chanteur engagé, ambassadeur pour l’UNICEF, à la tête d’un groupe de presse… Il ne vous reste plus qu’un pas à franchir, celui de la politique ?
Youssou N’Dour. Non, ça ne m’intéresse pas ! Ce n’est pas une vocation, pas une possibilité. Je pense que ce qui est une possibilité, c’est de participer à l’évolution de l’Afrique en général et au Sénégal en particulier. Je pense qu’en Afrique, au Sénégal, d’éminentes personnalités économiques et sociales peuvent jouer des rôles. Mais les rôles des uns et des autres se complètent et je ne me vois pas faire de la politique.
Finalement, vous êtes un artiste militant ?
Youssou N’Dour. Je pense. La musique est une force. Je suis un militant des causes justes.
Entretien réalisé par Fabien Perrier
Un album tout en finesse
Youssou N’Dour nous livre onze chansons qui décryptent l’actualité, analysent la société africaine, s’intéressent à la tradition et à la modernité. Il ouvre les yeux sur le sport et l’usage pervers qui en est fait (Sportif), il décrit les comportements des peuples nomades (Paolo Ardo), qu’il oppose au Toucouleur qui change d’attitude parce qu’il a soudain de l’argent (Sama Gammou). Chantre de la tradition, Youssou N’Dour s’engage incontestablement avec Rokku mi rokka (Prendre et donner) intégralement en wolof.
F. P.
Libellés : Musique, Pôle éthique
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